Les origines médiévales et la fondation du château
Le Château de Torres Vedras trouve ses racines dans l’histoire tumultueuse du Portugal médiéval, érigé sur une colline stratégique dominant la vallée du rio Sizandro. Les premières fortifications remontent au XIIe siècle, construites sous l’impulsion de Dom Afonso Henriques, premier roi du Portugal, vers 1148. Cette position géographique exceptionnelle, à environ 40 kilomètres au nord de Lisbonne, en faisait un point de défense crucial contre les incursions maures.
L’architecture originelle reflète l’influence des techniques de construction romanes, avec des murs épais en pierre calcaire locale et un donjon central imposant. Les maîtres d’œuvre de l’époque ont su tirer parti de la topographie naturelle, intégrant les affleurements rocheux dans les fondations pour renforcer la stabilité de l’ensemble. Les chroniques de l’époque mentionnent la participation d’artisans venus de différentes régions d’Europe, attestant de l’importance accordée à ce projet défensif.
L’expansion sous les dynasties royales
Durant le règne de Dom Dinis (1279-1325), surnommé le “Roi-Fermier”, le château connaît d’importantes transformations. Les travaux d’agrandissement incluent la construction d’une seconde enceinte muraille et l’aménagement de nouveaux quartiers résidentiels à l’intérieur de la forteresse. Cette période marque l’apogée architectural du château, avec l’ajout de tours de guet cylindriques et la création d’un système sophistiqué de citernes pour assurer l’approvisionnement en eau.
Sous la dynastie d’Avis, particulièrement durant le règne de Dom João I, le château bénéficie de nouveaux investissements. Les innovations militaires de l’époque, notamment l’introduction des armes à feu, nécessitent des adaptations architecturales. Des meurtrières spécialement conçues pour les arquebuses sont percées dans les murs, et les tours sont renforcées pour résister aux bombardements. Ces modifications témoignent de l’évolution constante de l’art de la guerre et de l’adaptabilité des fortifications médiévales.
Le rôle stratégique pendant la Reconquista
Torres Vedras occupe une position clé dans le dispositif défensif chrétien pendant la Reconquista. Sa situation géographique en fait un verrou essentiel sur la route menant à Lisbonne, obligeant les forces maures à contourner la position ou à l’assiéger. Les chroniqueurs arabes de l’époque décrivent la forteresse comme “la dent qui mord la route du sud”, soulignant son importance tactique.
Les archives royales conservent des traces de plusieurs sièges menés contre le château aux XIIe et XIIIe siècles. Le plus notable survient en 1184, lorsque les forces almohades d’Abu Yusuf Ya’qub al-Mansur tentent de reprendre la position. Le siège dure plusieurs semaines, mais les défenseurs, soutenus par les Templiers, parviennent à repousser les assaillants. Cette victoire renforce le prestige du château et conduit à de nouveaux investissements dans ses fortifications.
Les lignes de Torres Vedras : Napoléon face à Wellington
L’épisode le plus célèbre de l’histoire du château survient au début du XIXe siècle, lors des guerres napoléoniennes. En 1809, Arthur Wellesley, futur duc de Wellington, conçoit un système défensif révolutionnaire : les lignes de Torres Vedras. Le château historique devient l’un des points d’ancrage de ce formidable ensemble fortifié, composé de trois lignes successives s’étendant sur plus de 50 kilomètres.
Ces fortifications modernes, construites en secret avec l’aide d’ingénieurs britanniques et d’ouvriers portugais, transforment radicalement le paysage militaire de la région. Le château médiéval est adapté aux exigences de l’artillerie moderne : ses murs sont renforcés par des terrassements, et de nouvelles batteries d’artillerie sont installées sur ses flancs. Plus de 600 ouvrages fortifiés, reliés entre eux par un système de télégraphie optique, créent une barrière quasi-infranchissable.
L’efficacité de ce dispositif se révèle lors de la campagne de 1810-1811. Les troupes du maréchal Masséna, après leur victoire à la bataille de Buçaco, se heurtent aux lignes de Torres Vedras. Incapables de percer ce système défensif, les forces françaises sont contraintes de se retirer vers l’Espagne, marquant un tournant décisif dans la guerre péninsulaire.
Transformations et déclassement militaire
Après les guerres napoléoniennes, le château perd progressivement son importance militaire stratégique. Les évolutions de l’art de la guerre, notamment le développement de l’artillerie rayée et des explosifs modernes, rendent obsolètes les fortifications traditionnelles. Dans les années 1850, l’armée portugaise déclasse officiellement la forteresse, marquant la fin de sept siècles d’utilisation militaire continue.
Cette période de transition voit le château changer plusieurs fois de propriétaire. Des parties de la structure sont vendues à des particuliers, tandis que d’autres sections sont utilisées comme carrière de pierre pour la construction de nouveaux bâtiments dans la ville. Ces démolitions partielles causent des dommages irréversibles à l’intégrité architecturale de l’ensemble, particulièrement aux courtines sud et ouest.
Renaissance patrimoniale et restauration contemporaine
La prise de conscience de la valeur historique du château émerge progressivement au début du XXe siècle. En 1910, la République portugaise classe le monument comme “Imóvel de Interesse Público”, reconnaissant officiellement son importance patrimoniale. Cette protection juridique permet d’arrêter les démolitions sauvages et d’entreprendre les premières campagnes de consolidation.
Les travaux de restauration modernes commencent véritablement dans les années 1940, sous la direction de l’architecte João de Almeida. Ces interventions privilégient une approche conservatrice, visant à stabiliser les structures existantes plutôt qu’à reconstituer les parties disparues. Les techniques employées respectent les matériaux d’origine, utilisant des mortiers de chaux traditionnels et des pierres extraites de carrières locales similaires à celles exploitées au Moyen Âge.
Valorisation touristique et culturelle actuelle
Depuis les années 1980, le Château de Torres Vedras fait l’objet d’un programme ambitieux de valorisation touristique et culturelle. Un centre d’interprétation moderne, inauguré en 2010 pour commémorer le bicentenaire des lignes de Wellington, présente l’histoire complexe du site à travers des expositions multimédia et des reconstitutions historiques.
Les fouilles archéologiques récentes, menées en collaboration avec l’Université de Lisbonne, ont révélé de nouveaux éléments sur l’occupation du site. Des vestiges de constructions antérieures à la forteresse médiévale, probablement d’origine romaine, ont été mis au jour dans la cour d’honneur. Ces découvertes enrichissent la compréhension de la continuité d’occupation de ce site stratégique à travers les siècles.
Le château accueille désormais plus de 50 000 visiteurs par an, bénéficiant de sa proximité avec Lisbonne et de son inscription sur plusieurs circuits touristiques thématiques. Des événements culturels réguliers, notamment le festival médiéval annuel et les commémorations napoléoniennes, contribuent à maintenir vivante la mémoire historique du lieu tout en assurant sa pérennité économique pour les générations futures.