L’histoire méconnue d’une tradition centenaire
Le Carnaval de Torres Vedras puise ses racines dans une histoire fascinante qui remonte au XIXe siècle. Contrairement aux idées reçues, cette célébration n’a pas émergé spontanément mais résulte d’influences diverses provenant des traditions populaires portugaises et des échanges culturels avec le Brésil. Les premiers témoignages documentés datent de 1870, révélant déjà une organisation sophistiquée autour des “matrafonas”, ces personnages travestis emblématiques qui constituent l’âme du carnaval.
Les archives municipales dévoilent que les premières festivités étaient intimement liées aux cycles agricoles et aux fêtes religieuses. Les habitants organisaient des défilés improvisés dans les rues pavées, utilisant des matériaux de récupération pour confectionner leurs costumes. Cette tradition de l’improvisation créative demeure aujourd’hui l’un des piliers fondamentaux de l’événement.
Les matrafonas : gardiens d’une tradition unique
Les matrafonas représentent l’essence même du Carnaval de Torres Vedras. Ces personnages, traditionnellement interprétés par des hommes déguisés en femmes, incarnent une satire sociale subtile et mordante. Leur origine remonte aux anciennes comédies populaires portugaises, où le travestissement servait à critiquer le pouvoir établi sans risquer de sanctions directes.
Chaque matrafona développe un personnage distinct, souvent inspiré de figures locales reconnaissables. Les costumes, confectionnés artisanalement, nécessitent des mois de préparation. Les secrets de fabrication se transmettent de génération en génération, créant des lignées familiales de matrafonas. Les matériaux utilisés reflètent l’ingéniosité populaire : tissus recyclés, bijoux de pacotille, perruques confectionnées avec des matériaux inattendus.
L’organisation secrète des groupes carnavalesques
Derrière l’apparente spontanéité du carnaval se cache une organisation méticuleuse orchestrée par des groupes traditionnels jalousement gardés. Ces associations, parfois centenaires, fonctionnent selon des codes non écrits transmis oralement. Chaque groupe possède ses propres rituels d’initiation, ses chants secrets et ses techniques de confection de costumes.
Les répétitions commencent dès octobre, dans des lieux tenus secrets pour préserver l’effet de surprise. Les membres se retrouvent dans des caves, des granges ou des locaux discrets pour peaufiner leurs performances. Cette culture du secret génère une émulation intense entre les différents groupes, chacun tentant de surpasser les autres par son originalité et sa créativité.
Les techniques artisanales préservées
Le Carnaval de Torres Vedras perpétue des savoir-faire artisanaux uniques en Europe. La confection des têtes géantes, appelées “cabeçudos”, requiert une expertise particulière dans le maniement du papier mâché et de la paille. Les artisans locaux utilisent des techniques ancestrales, mélangeant colle de farine, papier journal et structures en bambou pour créer ces œuvres éphémères.
La peinture des masques suit des codes chromatiques spécifiques. Chaque couleur véhicule une symbolique précise : le rouge pour la passion et la révolte, le bleu pour la mélancolie, le jaune pour la joie ironique. Les pinceaux utilisés sont souvent fabriqués artisanalement avec des poils d’animaux locaux, conférant aux œuvres une texture particulière impossible à reproduire industriellement.
La musique : un patrimoine oral vivant
Les mélodies du carnaval constituent un trésor musical largement méconnu. Ces airs, transmis oralement depuis des générations, mélangent influences populaires portugaises, rythmes africains hérités de l’époque coloniale et innovations contemporaines. Les paroles, souvent improvisées, commentent l’actualité locale avec un humour décapant.
Les instruments traditionnels occupent une place centrale : guitares portugaises, accordéons, percussions artisanales fabriquées avec des objets du quotidien. Certains groupes possèdent des instruments centenaires, véritables reliques familiales. La transmission musicale s’effectue par imitation, créant des variations subtiles qui enrichissent constamment le répertoire.
Les lieux secrets du carnaval
Torres Vedras recèle des espaces méconnus qui s’animent exclusivement durant le carnaval. Les caves séculaires du centre historique deviennent des ateliers créatifs où s’élaborent costumes et accessoires. Ces souterrains, vestiges de l’occupation médiévale, offrent l’espace et la discrétion nécessaires aux préparatifs.
Certaines quintas abandonnées en périphérie servent de bases secrètes aux groupes les plus traditionalistes. Ces propriétés, souvent héritées de générations de carnavaliers, abritent des collections impressionnantes de costumes anciens et d’accessoires historiques. L’accès reste strictement réservé aux initiés, préservant l’authenticité des traditions.
L’impact économique méconnu
Au-delà de son aspect festif, le carnaval génère une économie parallèle significative. Les artisans locaux voient leurs revenus multipliés durant la période de préparation. Couturières, menuisiers, peintres et musiciens bénéficient de cette manne annuelle qui fait vivre de nombreuses familles.
Cette économie fonctionne largement au noir, perpétuant un système d’échanges informels typique des communautés rurales portugaises. Services contre services, matériaux contre expertise, cette économie du troc renforce les liens sociaux tout en préservant l’accessibilité financière de la participation carnavalesque.
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