L’édification médiévale d’une forteresse stratégique
Le château de Torres Vedras trouve ses origines au XIIe siècle, époque où le roi Sancho Ier du Portugal ordonne sa construction vers 1190. Cette forteresse s’élève sur une position géographique exceptionnelle, dominant la vallée environnante depuis un promontoire rocheux culminant à deux cents mètres d’altitude. L’emplacement choisi répond à une logique défensive implacable : contrôler les voies de communication entre Lisbonne et les territoires du nord, tout en surveillant les mouvements ennemis venant de l’est.
L’architecture initiale reflète l’influence des techniques de construction romaines et wisigothiques, adaptées aux exigences militaires de l’époque. Les maîtres maçons utilisent la pierre calcaire locale, particulièrement résistante, pour ériger des murailles épaisses de trois mètres. Le donjon central, haut de vingt-huit mètres, constitue le cœur névralgique de la défense, abritant les appartements seigneuriaux et les réserves d’armes.
Les transformations sous les ordres militaires
Au XIIIe siècle, l’Ordre du Temple prend possession du château, transformant radicalement sa physionomie. Les Templiers renforcent les fortifications existantes et ajoutent plusieurs tours de flanquement, créant un système défensif polyorcétal particulièrement innovant. Cette période voit l’installation d’une citerne souterraine capable de stocker quinze mille litres d’eau, garantissant l’autonomie de la garnison lors des sièges prolongés.
Les commandeurs templiers établissent également une chapelle dédiée à saint Michel, patron des guerriers, ornée de fresques représentant des scènes bibliques et des symboles de l’ordre. Après la dissolution des Templiers en 1312, l’Ordre du Christ hérite du château, poursuivant l’œuvre de fortification selon les nouvelles techniques militaires développées au XIVe siècle.
L’âge d’or sous la dynastie d’Aviz
La montée sur le trône de Jean Ier d’Aviz en 1385 marque une renaissance pour Torres Vedras. Le nouveau roi, reconnaissant l’importance stratégique du site, finance d’importants travaux d’agrandissement. Une seconde enceinte fortifiée englobe désormais le bourg castral, protégeant artisans et marchands installés à l’ombre de la forteresse.
Les innovations architecturales de cette époque incluent l’installation de bombardes, ancêtres des canons, positionnées dans des embrasures spécialement conçues. Le château devient un laboratoire d’expérimentation de l’artillerie naissante, attirant des ingénieurs militaires de toute l’Europe. Cette modernisation permet à Torres Vedras de résister efficacement aux assauts de l’artillerie ennemie lors des conflits du XVe siècle.
Les lignes défensives de Torres Vedras face à Napoléon
L’épisode le plus célèbre de l’histoire du château survient durant les guerres napoléoniennes. En 1809, le maréchal Wellington conçoit un système défensif révolutionnaire : trois lignes de fortifications s’étendant sur cent cinquante kilomètres entre l’Atlantique et le Tage. Torres Vedras occupe une position centrale dans ce dispositif, rebaptisé “les lignes de Torres Vedras“.
La première ligne, longue de cinquante kilomètres, compte cent cinquante-deux redoutes armées de six cents canons. Le château historique est intégré dans cette fortification moderne, ses murailles médiévales servant d’appui aux nouvelles positions d’artillerie. Vingt-cinq mille soldats portugais et britanniques occupent ces positions, soutenus par soixante mille civils mobilisés pour les travaux de terrassement.
L’ingéniosité tactique de Wellington
Wellington exploite magistralement le relief accidenté de la région pour créer un système défensif impénétrable. Chaque redoute est positionnée de manière à couvrir ses voisines par des feux croisés, rendant impossible toute percée locale. Le château de Torres Vedras abrite le poste de commandement central, d’où les ordres sont transmis par signaux optiques aux différents secteurs de la ligne.
La stratégie britannique repose sur la politique de la “terre brûlée” : tous les villages situés devant les lignes sont évacués, les récoltes détruites, le bétail évacué. Cette tactique prive l’armée française de Masséna de tout approvisionnement local, forçant les quatre-vingt mille soldats napoléoniens à dépendre uniquement de leurs convois logistiques, constamment harcelés par la guérilla portugaise.
La résistance victorieuse contre les troupes françaises
L’hiver 1810-1811 voit les forces françaises contraintes de bivouaquer face aux lignes infranchissables de Torres Vedras. Masséna, pourtant réputé pour ses talents tactiques, ne parvient jamais à percer le dispositif allié. Les tentatives d’assaut se brisent contre les fortifications, tandis que la faim et le froid déciment les rangs français.
Le château lui-même résiste à plusieurs bombardements, ses murailles médiévales renforcées par des terrassements modernes absorbant efficacement l’impact des boulets. La garnison, commandée par des officiers expérimentés, maintient un moral élevé grâce aux approvisionnements réguliers acheminés depuis Lisbonne par voie maritime.
L’héritage patrimonial et architectural
Aujourd’hui, le château de Torres Vedras témoigne de huit siècles d’évolution militaire. Les vestiges médiévaux côtoient les fortifications napoléoniennes, créant un ensemble architectural unique en Europe. Les archéologues ont mis au jour des fondations romaines sous le donjon, confirmant l’occupation millénaire du site.
Le musée installé dans les anciennes écuries présente une collection exceptionnelle d’armes et d’armures, retraçant l’évolution des techniques militaires du Moyen Âge à l’époque moderne. Les visiteurs peuvent parcourir les chemins de ronde restaurés et découvrir les souterrains creusés pour relier les différentes parties de la forteresse.
Les fouilles récentes ont révélé l’existence d’un village intra-muros comptant jusqu’à mille habitants au XVe siècle, faisant du château une véritable cité fortifiée autonome.